Jusqu’au début des années 80, les Directions Informatiques tentaient de faire le bonheur des utilisateurs en prenant en charge l’interprétation de leurs besoins, dans le but de fabriquer des réponses à l’aide de gros systèmes... Cette situation entraînait une grande déresponsabilisation des utilisateurs et une survalorisation de la fonction informatique... Elle entraînait également un certain confort pour les utilisateurs insatisfaits, car l’informatique jouait un rôle facile de bouc émissaire technique.
Se sont développées ensuite avec plus ou moins de bonheur, et sous la pression de Directions Générales désirant limiter l’inflation constante des budgets informatiques, des tentatives locales de séparation des fonctions d’identification des besoins et de fabrication des systèmes correspondants, voire même des tentatives d’infogérance.
Cette séparation a permis un renforcement apparent du pouvoir des utilisateurs. Dans la réalité, par manque de compétences de ces derniers, et parce que leurs besoins sont par définition toujours supérieurs à la capacité de production de l’informatique et qu’il faut bien que quelqu’un arbitre, les priorités se sont peu à peu limitées au réglementaire et à la technique, avant la satisfaction des besoins métier... L’informatique continuait à être considérée comme une charge nécessaire dans un monde où les offres de produits et services étaient banalisées.
L’accroissement de la concurrence entre les entreprises s’est traduit par la nécessité de développer sans cesse de nouveaux services pour les clients et de mieux piloter les processus de création de valeur ajoutée, les investissements et les coûts de fonctionnement. Or l’informatique est non seulement un outil de gestion et de pilotage, mais aussi une partie intégrante de la chaîne de création de valeur des produits et services de l’entreprise.
Et c’est là que réside une des difficultés actuelles : l’informatique n’est pas une simple fonction support, mais également une fonction créatrice de valeur. A ce titre, elle est partenaire des directions métiers... Ce qui n’est pas sans compliquer l’équation : (l’informatique, c’est complexe) + (les utilisateurs ne savent pas définir leurs besoins) + (l’informatique fait partie de la chaîne de création de valeur) + (il est nécessaire de maîtriser les investissements et les coûts) + (il est indispensable de proposer sans cesse de nouveaux services aux clients). D’où l’angoissante question : Que faire ?
La moins mauvaise des solutions actuelles se caractérise par l’existence d’une fonction de maîtrise d’ouvrage (MOA), constituée le plus souvent d’anciens informaticiens connaissant en plus un des métiers de l’entreprise. Ces MOA sont capables de dialoguer avec les directions métier comme avec leurs anciens collègues de l’informatique. Cette fonction est parfois rattachée à la Direction Générale de l’entreprise, répartie dans les directions métiers, ou encore rattachée à la Direction Informatique.
Les rôles respectifs
La maîtrise d’ouvrage recouvre les fonctions de pilotage/communication du projet et d’accompagnement des utilisateurs dans la production des différents livrables sous leur responsabilité, de l’expression des besoins au bilan final du projet. L’homme fort de la maîtrise d’ouvrage est le “Chef de projet”. Celui-ci propose la composition de “l’équipe projet maîtrise d’ouvrage”, évalue les facteurs de risques et les gère à tout moment, affecte les travaux à réaliser aux membres de l’équipe projet maîtrise d’ouvrage, suit l’avancement des travaux de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre, anime l’ensemble de l’équipe projet maîtrise d’ouvrage et s’assure du bon niveau de motivation de ses membres. En outre, il arbitre les conflits entre les membres de l’équipe projet maîtrise d’ouvrage, suit les budgets et les délais et prépare les dossiers pour les différentes instances du projet et de l’entreprise (documents intermédiaires et finaux). Les membres de l’équipe projet maîtrise d’ouvrage prennent en charge les lots de travaux sous leur responsabilité.
La maîtrise d’œuvre a en charge la réalisation technique, la mise en service et la maintenance des livrables du projet. Elle est animée par un “Responsable de chantier informa- tique”. Alter ego du Chef de projet maîtrise d’ouvrage, le Responsable de chantier informatique est l’inter- locuteur privilégié des différentes “équipes informatiques” qui inter- viennent dans le projet dans la production des différents livrables techniques. Il définit et met en œuvre les ressources internes appropriées : architectes fonctionnel, applicatif et technique, responsables de domaine applicatif, équipe de développement, experts intégration, réseaux, bases de données, télécoms, systèmes, équipe de help desk, responsable sécurité des Systèmes d’information, responsable qualité, équipe d’intégration, équipe d’exploitation... ou fait appel à des sous-traitants, en régie ou en centre de service (for- fait). Il supervise les travaux techniques et contrôle leur qualité (déroulement des tests, respect des normes de sécurité, facilité de maintenance...).
La maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre ont donc des fonctions complémentaires, comme le montre le tableau 1:
Conditions de succès
Notre expérience des projets informatiques montre que, pour que ces deux fonctions collaborent en bonne intelligence, il est nécessaire que sept conditions soient réunies.
Trois conditions concernent l’entreprise :
1. Existence d’un référentiel méthodologique partagé. Ce référentiel, partagé par tous au sein de l’entreprise (Directions métier, Direction informatique...), doit préciser les rôles des acteurs dans la réalisationd’un projet (comité stratégique, comité de Pilotage, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre...), les liens avec les instances permanentes et fonctions de l’entreprise, les phases, étapes et conditions de validation, les livrables à produire...
2. Existence d’un Comité Stratégique permanent. Ce comité a en charge la sélection et le suivi des projets majeurs et des ressources critiques de l’entreprise (Ressources informatiques et experts métiers). Composé de représentants des Directions métier et de la Direction informatique, il sélectionne les projets stratégiques (études préalables, projets réglementaires, projets techniques et projets métiers). Il décide du “Go/No Go” entre les phases, notamment lors du lancement du projet. Il réexamine régulièrement le bien-fondé des projets en cours (en fonction des enjeux, des objectifs et de la rentabilité de ceux-ci) et arbitre entre les différents budgets. Il valide les résultats et en rend compte à la Direction Générale.
3. Existence d’une Cellule de Planification stratégique. Instance hiérarchique pérenne, la Cellule de Planification stratégique a pour responsabilité le suivi de l’ensemble des études préalables et des projets de l’entreprise (y compris le budget de maintenance). Elle participe à la sélection des études et des projets qui seront conduits dans l’exercice (évaluation des impacts de toute nouvelle étude ou projet sur le portefeuille en cours, sous l’angle des ressources critiques et du planning général). Elle suit chaque étude et projet (ressources critiques, consommation budgétaire et planning). Elle consolide l’ensemble des informations pour mettre en évidence les conflits de ressources critiques et les adhérences entre projets et ainsi proposer des arbitrages au comité stratégique.
Quatre conditions concernent les projets :
4. Existence d’une étude préalable avant tout lancement de projet. Chaque étude doit être placée sous la responsabilité d’un commanditaire qui deviendra, si celle-ci débouche sur un projet, le sponsor du projet, responsable des objectifs et des moyens mis à disposition. L’étude préalable doit permettre de prendre la décision de lancement du projet en toute connaissance de cause : opportunité du projet (dont une évaluation du retour sur investissement), étude de faisabilité (impacts techniques...).
5. Recours à des chefs de projet et des responsables de chantier informatique expérimentés. Ces deux fonctions correspondent à deux métiers complexes, pour lesquels les compétences techniques ne suffisent pas. En effet, ces fonctions font appel au leadership, à la capacité d’animation d’équipe dans une relation non hiérarchique, au carnet d’adresses, à la capacité d’arbitrer et de prendre en charge la résolution des conflits... Elles doivent donc être confiées à des personnes possédant le bon profil, que celles-ci soient internes à l’entreprise ou externes.
6. Existence d’un Comité de Pilotage. Il doit être composé a minima du sponsor, du chef de projet maîtrise d’ouvrage et du responsable de chantier informatique. Ce comité suit la réalisation opérationnelle du projet de son lancement jusqu’à sa clôture. Il valide les orientations, affecte les ressources, arbitre les options majeures, suit les risques, décide du lancement des lots de travaux et en valide la réalisation.
7. Mise à disposition des projets d’une fonction support. Cette fonction support a en charge le pilotage opérationnel du projet (suivi de l’avancement des travaux et notamment des échéances, gestion des plannings et des consommations, suivi des dépenses engagées, suivi de la disponibilité des ressources cri- tiques, suivi du portefeuille de risques, gestion des actions de communication, préparation des supports pour le Comité de pilotage et le Sponsor...). Cette fonction assure aussi la gestion administrative de l’équipe projet (suivi des temps, notes de frais, réservation des salles de réunions, billets de train et d’avion, chambres d’hôtel, taxis et voitures de location, gestion de la documentation du projet...).
Ainsi, la séparation de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre dans un projet informatique est une réelle garantie de succès. Elle per- met de distinguer le donneur d’ordre et le réalisateur. Elle organise le processus d’intégration des besoins, focalise la maîtrise d’œuvre sur ses objectifs et fait apparaître les conflits naturels qui amènent les dérives vers l’excessive simplification ou l’excessive complexité du système. Par contre, elle amène des biais dans la circulation de l’information, engendre un processus plus formel et donc plus contraignant et rend plus difficile l’intégration des problèmes de réalisation et de conduite du changement.
Auteur : Henri-Pierre Maders